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Le blog de Christophe Lamoure

Montaigne

7 Mai 2014 , Rédigé par Christophe Lamoure Publié dans #Revue de presse

SOURCE :

http://blogs.mediapart.fr/blog/patrick-rodel/090414/pierre-manent-montaigne-la-vie-sans-loi

 

Pierre Manent : Montaigne, la vie sans loi

 

Nous n'en avons jamais fini avec Montaigne - c'est sans doute la marque d'une oeuvre de grande envergure que nous ne puissions jamais en prendre totalement la mesure. Le livre de Pierre Manent vient bousculer bien des approches scolaires qui cherchaient à mettre de l'ordre dans ces Essais dont Montaigne lui-même dit qu'il les a composés "à sauts et à gambades". Des étapes autrefois admises qui jalonnaient le parcours de Montaigne du stoïcisme au scepticisme en passant par l'épicurisme, il ne reste plus grand chose dans la lecture que nous propose Manent. Ce qui semble l'emporter c'est une des destruction, pour ne pas dire une déconstruction, du projet philsophique qui, depuis l"Antiquité et Socrate, tend à ordonner la pensée et la vie humaines sous l'autorité de la raison. Il n'est pas une absurdité qui n'ait été, une fois ou l'autre, défendue par la philosophie - on le sait bien, mais cela ne semble atteindre que la périphérie de la philosophie, les petites manies des philosophes qui prêtent à rire, leurs prétentions insupportables qui les font se croire supérieurs au reste de l'humanité - et pas la philosophie elle-même, comme désir d'énoncer  le sens de ce qui est.

Or, c'est bien ce projet que détruit Montaigne en jouant les unes contre les autres les différentes instances sur lesquelles les philosophes ont cru pouvoir s'appuyer - raison, nature, expérience " "A quoi faire ces pointes élevées de la philosophie, sur lesquelles aucun être humain ne se peut rasseoir."(Essais, III, 9) A ce jeu de massacre doit correspondre une forme nouvelle d'écriture : Montaigne est celui qui invente la littérature, c'est-à-dire la libération du style de toute soumission à autre chose qu'à la fantaisie. Montaigne n'est jamais là où nous croyons l'avoir épinglé, il nous échappe, "ondoyant et divers", comme les choses autour de lui qui  ne cessent d'être emportées dans un flux que rien ne parvient à endiguer. L'héraclitéisme est une référence qu'on s'étonne de ne pas trouver dans les analyses de  Manent, du moins ce qui, sous ce mot, et depuis Platon, apparaît comme le mal absolu qui menace l'entreprise philosophique et l'entreprise politique en ce qu'elles ont de fondamentalement lié.

Socratisme et christianisme sont également récusés, en dépit des louanges qui leur sont adressées. Car Montaigne a plus d'un tour dans son sac et sait faire passer des propos subversifs sous des compliments outranciers. Dans le chapitre 12 du livre II , l'Apologie de Raymond Sebond,  "sous le débat ostensible entre rationalisme dogmatique et pyrrhonisme, se formule (...) et très vigoureusement, une pensée très affirmative qui, en termes philosophiques, peut être dite 'naturaliste' ou 'matérialiste', et qui, pour ce qui concerne le rapport au divin, doit être désignée comme un athéisme", écrit Manent - pas mal pour un apologète ! Mais si l'on pense avoir trouvé là le dernier mot de Montaigne, on se leurre, car le dernier livre des Essais donne avec un cynisme tout à fait réjouissant l'illustration d'un idéal de sexualité libérée de toute pudeur à l'image de Diogène se masturbant sur la place publique ; loin de toute loi, Montaigne se laisse aller à une exhibition que l'on peut trouver inintéresante de ses moindres particularités physiologiques - de Montaigne, de nombreux contemporains ont retenu l'exhibition, sans le style, malheureusement !

Mais Montaigne est un homme de lettres, le premier peut-être, un des plus grands sans doute qu'aucune contradiction ne rebute, qu'aucun revirement n'effraie, qui ne se sent tenu par aucune soumission à une loi qu'un autre aurait édictée, qui jouit de ce jeu, de ses 'je' multiples,  dans le miroitement d'une écriture qui joue de tous les registres et se moque de tous les modèles.

On voit que le livre de Pierre Manent bouscule l'image traditionnellement proposée de Montaigne. On peut discuter de telle ou telle analyse, regretter que les rapprochements avec Rousseau et Pascal soient assez convenus et par là-même décevants. Mais c'est un livre qui donne à penser.

 

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