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Le blog de Christophe Lamoure

NOTES

 

 

01/08/10

LE FEU DE LA LANGUE

 

 

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Sans les noms, nous serions aveugles aux choses et aux êtres.

 

Que nous tenions, et d'abord debout, par le langage, est sans doute le point premier.

 

Sans les mots, nous sommes ou nous pouvons être ouverts à ce qui se donne aux sens mais si les mots ne finissent pas par pointer, émerger, faire surface et alors donner noms aux sensations, celles-ci se dissipent et c'est comme si rien n'était arrivé.

 

Ne fait événement, c'est-à-dire ne laisse une trace que ce que nous pouvons inscrire, tôt ou tard, dans un récit par lequel nous pouvons rendre compte, au moins à nous-même, de ce qui s'est passé alors.

 

Un autre point est que les mots, toujours, selon des voies directes ou obliques, renvoient aux choses.

 

Les mots sont toujours armés d'intentions, autrement dit les mots ne sont pas neutres, ils sont chargés. Ces intentions nous sont imposées par la langue qui se parle ou bien ces intentions sont choisis du sein de la langue que nous parlons. Dans le premier cas, nous sommes dits et nous sommes faits, soit bons soldats du récit convenu à ce jour et sous ces latitudes, soit sorte de tireurs fous tirant aveuglément dans le tas comme l'actualité en donne de temps en temps le spectacle ; dans le second cas, nous disons et nous faisons, à la manière d'un voyageur qui ne cherche pas tant sa route qu'il ne découvre la possibilité de tracer un chemin au milieu de paysages, de rivières, de monts et de vaux, d'air et de vents qu'il aura élus.

 

Dire, c'est toujours juger. Trois façons de ne pas juger : ne rien dire, parler pour ne rien dire ou laisser parler un autre à la place de soi. Trois figures : le silencieux, le bavard et l'absent.

 

Le refus de juger : en de certaines circonstances, il est avisé, mais dans la stricte mesure où ce refus est l'expression du jugement : je juge qu'en l'occurrence, il serait mal venu de porter un jugement. Refus systématique de juger : disparition du sujet, refus d'être soi.

 

Plus haut plaisir de l'esprit : l'exercice d'un jugement clair et avisé, soit le sien soit celui d'un autre. Autrement dit, l'exercice virtuose d'une intelligence qui fait jaillir au cœur de la langue une source de lumière et de visibilité. Comme le dit fort à propos l'expression courante : nous voilà éclairés.

 

La langue est comme un feu, qui, tenu trop près, aveugle et empêche de voir, qui, tenu à bonne distance, révèle et distingue.

La trop grande proximité ? Je parle comme un sourd et comme un autre.

La bonne distance ? Je parle en écoutant la langue et à partir de soi.

A partir de soi : ne pas adopter le point de vue d'un autre (à partir de soi), ne pas s'enfermer en soi (à partir de soi).

 

Enseignez-moi une langue de façon que je puisse me composer un être à la mesure d'une idée.

 

 

25/07/10

VANITÉS

 

 

 

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En bonne logique, il en faut très peu pour me convaincre de mon néant.

 

A mes yeux, un des titres les plus fascinants de la littérature : Pascal Pia ou le droit au néant, de Roger Grenier.

 

Dans ce livre, est rappelée la demande de Baudelaire à propos de la Déclaration des droits de l'homme : qu'on y ajoute le droit de se contredire et le droit de s'en aller.

 

Les évidentes et constantes allées et venues du néant à l'être et de l'être au néant devraient suffire à nous éclairer sur la destinée ultime de toutes choses, sentiments, individus, passions, entreprises, œuvres... Une fois cette mise au point accomplie, le jeu devrait se calmer, non ?

 

L'oubli du néant rend pesant, sérieux et souvent grotesque. Une touche de néant, fichée dans le regard, donne un air de détachement et de simplicité qui sied bien à un visage humain.

 

Il semble que celui qui sait voir les signes du néant se tient mieux dans l'être.

 

De l'être au néant, quelle distance ?

 

Certains ont le néant tragique, d'autres le néant larmoyant, d'autres encore le néant colérique ou le néant abattu, moi j'ai le néant joyeux. Quoi de plus léger que le néant ? La considération du néant me requinque.

 

Rien de tel qu'un entretien avec le néant pour gagner un peu de décontraction et, dans le meilleur des cas, se convertir à la profonde désinvolture.

 

 

 

21/07/10

MORALISTES

 

 

 

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Il est peu de choses plus distrayantes et plus instructives que l'observation des conduites humaines. Une situation, des individus, des événements, des ambitions, des intérêts … le théâtre se dresse, la pièce s'amorce, se développe et produit des effets, sinon inattendus, du moins toujours remarquables. On sait que les moralistes en ont fait leur miel.

On les dénomme « moralistes », non parce qu'ils délivrent des leçons de morale mais parce qu'ils appliquent leur esprit à l'étude des mœurs de leurs contemporains et de la société de leur temps. Mœurs vient du latin mos, moris qui désignent les usages, les façons de faire, de se conduire. Un moraliste, avant même d'être une plume, c'est un œil. Ses vues sont piquantes, enlevées, souvent drôles, plus souvent encore cruelles.

 

Le reproche le plus commun qu'on adresse aux moralistes tient précisément à cette cruauté dans laquelle, affirment leurs contempteurs, ils se complairaient et qui leur interdiraient d'apercevoir les bons côtés de la nature humaine, de la vie sociale, de leurs semblables et de la vie en général. Un écrivain leur a même récemment reproché d'être des « professeurs de désespoir » et la désignation valait condamnation. Mais alors quoi l'écrivain, le penseur doit-il dispenser des raisons d'espérer ou encore des raisons de vivre, est-ce bien là sa vocation ?

Porter un regard lucide sur le monde et les hommes, traquer les illusions, débusquer les faux-semblants, pointer les contradictions, démasquer les impostures me paraît plus de son ressort et indiquer nettement sa vertu propre.

Les moralistes ont fait vœu de justesse, non de justice. Ne les lisons pas pour nous trouver des charmes inespérés ou d'aimables défauts ; à cette fin, notre narcissisme et notre suffisance sont des agents infatigables. Ne cherchons pas à découvrir, entre leurs pages, un joli côté des choses et des êtres ; nos illusions répondent efficacement à ce souci. Ils n'énoncent pas la vérité et n'y prétendent pas ; ils ont un point de vue et l'expriment dans un style supérieur. Ces deux traits sont suffisamment rares pour être goûtés. De plus, ils nous permettent de mieux comprendre la fine mécanique humaine dans toutes ses dimensions, psychologiques, sociales, intellectuelles ou politiques.

Bien entendu, ils n'épuisent pas le réel ni les tâches que l'on peut reconnaître à celui qui pense mais qui pourrait raisonnablement tirer parti de cette absence d'exhaustivité pour les récuser ? A cette aune, aucune œuvre, aussi bienveillante et pondérée soit-elle, ne résisterait. Ne boudons pas notre plaisir et tâchons en leur compagnie d'aiguiser notre jugement.

 

Les moralistes, précieux antidotes au moralisme et à la satisfaction niaise.

 

 

Quelques maximes de La Rochefoucauld :

 

« On a de la peine à rompre quand on ne s'aime plus. »

 

« Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui. »

 

« Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres qu'enfin nous nous déguisons à nous-mêmes. »

 

« Nous essayons de nous faire honneur des défauts que nous ne voulons pas corriger. »

 

 

 

21/07/10

SAGESSE ET FOLIE

 

 

 

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« Laisse-moi mes folies. Une petite flamme de folie, si on savait comme la vie s'en éclaire ! »

Henry de Montherlant

 

Préférons-nous la clarté ou l'obscurité ? La distinction ou la confusion ? Sans doute, chacun répondrait aussitôt que la question ne fait pas même débat : la clarté et la distinction ont nos faveurs, sans réserve aucune. Est-ce bien sûr ?

Il me semble, bien au contraire, que, le plus souvent, chacun s'accommode très aisément de ses approximations, s'en contente et que c'est par exception et par obligation que l'on s'impose d'y regarder de plus près. Autrement dit, et à rebours de nos propres affirmations, je pense que nous préférons l'obscurité et la confusion, que nous faisons le choix d'y camper. Pour certains, c'est une faute, pour d'autres, c'est une forme de sagesse.

Reconnaissons-le, d'habitude, scruter nos façons de penser, réfléchir le bien fondé de telle ou telle position, argumenter un choix, déterminer les autres possibilités, fixer le sens des termes employés... tout cela nous fatigue avant même d'avoir commencé ou peu après son début. Ne serait-ce que d'envisager une telle démarche nous plonge dans la perplexité et une sorte de désarroi. Peut-être vaudrait-il mieux savoir exactement ce que l'on dit, défend ou promeut mais, passé ce qui se répète inlassablement, nous ne sommes guère prêt à nous engager sur ce terrain.

Cependant, pour ne pas paraître s'en laisser compter et justifier une telle retraite, on argue savamment de la complexité des choses, du caractère inextricable du réel, de la profondeur insondable de la psychologie, de l'extrême difficulté des grandes questions, etc. Ce faisant, on s'en retourne bientôt au confort douillet de ses opinions, qui, pour être confuses et obscures, n'en seront pas moins défendues avec un aplomb sans défaut et une sérénité à toute épreuve.

C'est sans doute là que le bât blesse : si nous nous en tenons à de courtes vues, nous devrions adopter la posture modeste qui s'ensuit, mais non, nous combinons la faiblesse des vues avec une tranquille assurance : c'est Mickey qui se prend pour Hegel.

Tout de même, dans cette méfiance du commun à l'égard des idées, il y a une sorte de sagesse. Ainsi, Descartes prenait-il soin de préciser que sa démarche d'examen total et radical de ses idées ne devait pas être le fait de tous mais seulement du philosophe. Ce serait d'ailleurs là toute la différence entre le philosophe et les autres. Les uns tournent au régime de l'opinion quand les autres, les philosophes, tournent au régime de l'idée.

La sagesse du commun qui tient à ceci qu'il refuse de s'affronter à un questionnement radical dont il n'a pas les moyens n'est pas une sagesse de circonstance ni une sagesse relative à tel ou tel individu ; ce serait une sagesse liée à la condition même de l'homme et à ses limites. Si l'on s'inscrit dans cette perspective, il faut alors voir dans la philosophie une démarche folle, l'expression d'une folie et non d'une sagesse, il faut y voir un excès ou une ivresse. Cela inverse la représentation traditionnelle du philosophe, homme de la mesure, voire d'une certaine prudence.

 

La philosophie ou l'éloge de la folie.

 

 

 

17/07/10

CARACTERE ET CIVILISATION

 

 

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Quand on lit les philosophes de l'Antiquité, on découvre bientôt qu'à leurs yeux, le signe le plus sûr de la grandeur ou de l'accomplissement ou simplement de la maturité d'un être humain, c'est sa capacité à se dominer, à se contenir, à se maîtriser.

Cela constitue l'indice d'une nature qui est parvenue, à force d'exercices, de patience et de volonté, à tenir la bride à ses pulsions, à ses élans les plus spontanés, les plus primaires et à leur substituer une conduite inspirée par le souci du bien, du beau, du juste. La dignité d'un individu réside dans cette capacité à se conquérir, à réduire la part de violence et de désordre qui l'habite et à augmenter l'espace de la sérénité, du calme, bref du jugement.

Dans de telles dispositions se manifeste la force du caractère, capable d'imposer la retenue aux mouvements les plus sauvages de l'âme et capable de propager la ferme autorité de la raison et du goût en ses parages.

C'est, semble-t-il, à une radicale inversion que nous assistons aujourd'hui. Rien n'est tant affiché et prisé que l'anarchie du caractère et de la conduite, exhibition savourée dont on fait la preuve d'une nature authentique et vraie. Être soi dans toute sa crudité, sans frein ni limite, paraît l'idéal humain le plus désirable, le plus abouti. Donner libre cours à ses émotions, exprimer ce que l'on éprouve sans discernement, être continûment dans le registre de la réaction et de sa publicité témoigneraient d'une forte personnalité. Aussi, faire du bruit et s'agiter résument l'ambition du contemporain.

 

Dans un tel virement, c'est la civilisation qui s'enrhume.

 

 

 

16/07/10

ECRIRE

 

 

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Nous partageons des mots, des façons de les relier, de les prononcer, d'en mettre certains en avant, d'en tenir d'autres en suspicion, de sourire à l'un, de faire la grimace à l'autre. Nous faisons langue commune. Cela nous rend semblables.

Seul le partage du silence peut nous rendre complices ou intimes.

 

 

Il évoque son livre en des termes ingénieux, son visage est avenant, son propos fluide, il porte bien, parle juste, il parvient à susciter de la curiosité, on finit par se promettre une agréable lecture. Le livre enfin saisi, ouvert, la lecture débute... il nous tombe des mains.

Un livre est un livre est un livre est un livre est un livre...

 

 

Il faut de l'humeur pour écrire sans quoi on catéchise, on édifie, on exhorte, on enseigne, on prêche. Le style est indissociable d'une certaine qualité de tempérament, noir de préférence.

Dans la pensée, c'est l'ombre qui éclaire.

 

 

Il entre quelque chose de cruel dans le fait d'écrire, comme une intention de blesser.

 

 

 

15/07/10

SAVOIR VIVRE

 

 

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« La liberté à laquelle aspire l'homme moderne n'est pas celle de l'homme libre, mais celle de l'esclave un jour de fête » (Nicolas Gomez Davila, Le Réactionnaire authentique).

 

 

Le temps jamais ne manque mais seulement le désir et la résolution d'en faire quelque chose. Nous nous plaignons souvent de ce que la vie est trop courte, de ce que le temps passe trop vite et de ce que vient la fin quand nous en sommes seulement au début... En vérité, nous avons plus de temps qu'il n'en faut, ce qui nous manque, c'est de savoir qu'en faire, autrement dit ce dont nous manquons, c'est de savoir vivre.

Nous sommes dotés de deux forces, le désir et la volonté, qui nous animent et nous inspirent certains faits et gestes. Cependant, ni le désir ni la volonté ne sont des forces autonomes, ils requièrent l'un comme l'autre d'être éduqués, c'est-à-dire orientés vers des objets qui leur donnent une direction et qui, en même temps, les alimentent, leur donnent une consistance et les renouvellent.

Laissés à eux-mêmes, désir et volonté s'épuisent bientôt, victimes d'une agitation vide et vaine. L'individu est travaillé par des intensités qui ne rencontrent aucune issue et qui finissent par engendrer un mal être au lieu qu'elles soient sources d'affirmation et de réalisation.

Autrement dit, le désir et la volonté doivent être éveillés, ils ne sont pas spontanés et seul un certain objet est capable de les provoquer et de les mobiliser, pour ainsi dire. Cela signifie que ni le désir ni la volonté ne sont pensables indépendamment d'un objet. Sans objet, le désir n'est rien, la volonté n'est rien.

Mais d'un autre côté, cantonnés aux mêmes objets, ils mènent à l'expérience de la lassitude et de l'usure. Rien ne dure qui se fige dans la répétition, le ressassement et la forme obsessionnelle que prend alors notre laborieuse activité conduit à la dissolution de l'objet et au renvoi du désir et de la volonté à leur propre néant. Ce que nous voulions et désirions ardemment nous laisse insensibles maintenant.

L'objet, quel qu'il soit, ne suffit donc pas à maintenir vivants et actifs le désir et la volonté. Il faut peut-être supposer que l'objet n'est que la figure ou le chiffre d'une autre réalité et que nous le désirons ou voulons moins pour lui-même qu'en tant qu'il est l'expression d'autre chose.

Ce que nous poursuivons à travers tel ou tel objet, c'est une idée. Quand nous confondons l'objet et l'idée ou quand nous croyons désirer ou vouloir l'objet pour lui-même, alors non seulement nous nous faisons des illusions mais aussi nous condamnons à plus ou moins brève échéance notre désir et notre volonté à la dispersion.

Nous désirons ou voulons une certaine idée de la vie et nous nous attachons à tel ou tel objet dans la mesure où il paraît traduire une dimension ou un aspect de cette forme de vie qui nous appelle.

 

L'époque nous convoque à la course aux objets et au dédain des idées ; en cela, elle nous prépare une existence à la fois affolée et exténuée. N'ayons de regard pour les objets qu'à la condition qu'ils abritent une idée qui nous hisse au-dessus de nous-mêmes. Pensons et vivons nos rapports aux autres, à nous-même et au monde dans la perspective d'une idée.

 

 

 

14/07/10

EDUCATION ET CONVICTION

 

 

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« Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue » (Apologie de Socrate).

 

La tâche la plus difficile, la plus haute et la plus nécessaire de toute éducation n'est-elle pas de donner naissance à des êtres de conviction ? Autrement dit, de former des individus capables de défendre des principes et des valeurs dont ils ont reconnu le bien-fondé, la justesse, la pertinence.

L'accès au savoir est certes essentiel, la découverte des grandes œuvres est bien entendu indispensable, la possibilité d'obtenir des diplômes et par leur moyen de trouver un métier est sans conteste important. Mais l'éducation que reçoit un enfant, si elle ne vise que ces fins, aura échoué car elle aura manqué sa destination : élever l'enfant à sa dignité propre, laquelle réside en l'exercice d'un jugement autonome en vertu duquel il est capable de discerner les idées qui orienteront son existence et ses choix.

L'éducation ne forme pas des savants, ni des érudits, ni des salariés ni des patrons... elle forme des êtres humains, c'est-à-dire des êtres qui choisissent la forme de vie qu'ils adoptent. Car la vie n'est pas une force aveugle à laquelle nous serions soumis mais une puissance dont nous avons à actualiser les possibilités les plus fécondes, les plus prometteuses à nos yeux.

 

Le contraire de la conviction ? L'intérêt.

 

   

 

13/07/10

COMEDIE

 

 

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N'avez-vous pas l'impression d'assister à une comédie connue qui, hier, nous enchantait, nous intriguait, nous emportait ou nous indignait, et qui, aujourd'hui, jouée par d'étranges acteurs, nous laisse indifférents, parfois amusés, souvent vaguement dégoûtés ? Aussi, nous faisons, de notre côté, d'étranges spectateurs.

On s'interroge : comment a-t-on jamais pu croire à pareille bouffonnerie ? Étions-nous idiots, aveugles ou si grossiers que bien peu, si peu, pouvait nous persuader ?

Ou bien ceux qui tenaient ces emplois possédaient-ils naguère un tel art qu'ils magnifiaient le dérisoire, métamorphosaient le pathétique, au point que nous, qui étions à distance, pouvions entretenir la belle illusion d'une histoire en train de se faire ?

Non, les acteurs, leur art et leur énergie, ne sont pas en cause. On lit sur leur visage, on observe dans leur posture le farouche désir et la froide détermination d'en être, d'y être et de tenir les premiers rôles. Non, ce qui a changé, c'est que plus personne, pas plus eux que nous, n'est dupe. Le ciel est vide et le temps des héros est révolu.

Agitons-nous, il le faut bien, nous sommes là pour ça et sinon... quoi ? Faisons comme si tous ces mouvements étaient nécessaires, comme si tous ces mots devaient être dits, comme si tous ces regards et tous ces gestes venaient à leurs moments. Jouons la comédie et souhaitons, peut-être, qu'en certaines occasions, grisés par les faux-semblants, bluffés par l'imposture, nous soyons capables d'une parfaite imitation.

Certes, mais de quelle qualité le jeu peut-il être, de quelle qualité le spectacle peut-il être quand manque d'y croire, ne serait-ce qu'un peu, quand manque jusqu'au soupçon que tout cela pourrait avoir un sens ?

   

 

 

12/07/10

MEMOIRE ET COULEURS

 

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La faculté d'oubli est quasi surnaturelle. Comme par magie, elle efface des pans entiers de vie. Ainsi, je perds par lambeaux la mémoire de moments que j'ai vécus, auxquels sans doute j'étais attaché, des moments ou même des périodes qui, peut-être sans avoir revêtus un caractère exceptionnel, constituaient pourtant mon existence et l'inscrivaient dans la trame du temps. J'existais quoi, la preuve.

On ne saurait négliger cet aspect des choses. En effet, ces attaches chronologiques installent l'individu dans le réel et confèrent à sa présence dans le monde une sorte de caractère officiel et objectif. Né le …, mort le …, et, entre ces deux extrêmes, une succession de rendez-vous plus ou moins manqués mais toujours attestés.

Il n'en reste pas moins que mon passé, si je le convoque, est plein de trous. Ces oublis peuvent frapper indifféremment un temps éloigné comme des jours récents. Ils affectent des dates, des événements, des paroles qui perdent leur consistance et se dissipent dans un épais brouillard. Dans cette mer, surnagent cependant des personnes et des sensations, une collection d'impressions. C'est alors une mémoire précise et affutée qui s'éveille, une mémoire qui peut faire surgir la vie à partir d'un détail, une mémoire qui touche la sensibilité et le corps. J'aimerais dire que je n'ai oublié aucune impression, que celles-ci peuplent mon corps comme mon esprit et que ce peuple sensible et confus fait ce que je suis maintenant.

A quoi bon savoir des faits, des jours et des chiffres, nous n'avons pas vocation à devenir nos propres biographes. Une vie est une suite de marques, affronts et succès, réserves et audaces, grâces et chutes et nous savons ces choses d'un savoir obscur, profond et infaillible. Que nous chaut l'exactitude du calendrier quand nous tenons nos jours dans notre regard bariolé ? Voyez la suite de mes couleurs, dit-il.

 

Verte l'enfance,

Rouge l'adolescence,

Bleu noir le début de l'âge adulte,

Blanc l'aujourd'hui.

 

 

 

11/07/10

FRANCE

 

 

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Que reste-t-il à un peuple près de l'épuisement, à un peuple retranché hors de l'histoire, revenu de toutes les controverses intellectuelles, délesté de la moindre conviction, moquant toute valeur et tout sacrifice ? Que reste-t-il à un peuple finement et décisivement sceptique ? Il lui reste à disparaître, il lui reste à s'effacer. Puisque plus aucune illusion ne le porte, il ne peut que perdre pied et quitter la scène des grands affrontements, qu'ils soient guerriers, intellectuels, moraux ou spirituels. Il lui revient de devenir spectateur, ce qui est la voie de l'effacement la plus intelligente, la plus élégante. Ne pas chercher à faire durer l'illusion ou le corps d'illusions qui pouvait encore nous tenir chevillé à l'histoire et à ses affaires mais faire un pas de côté, laisser à d'autres le prestige des passions aveugles et des succès terribles.

La résolution ne devrait pas trop coûter à un peuple si doué pour la désillusion, à un peuple capable de voir si clairement et si distinctement le néant qui nimbe toute entreprise et toute action humaines.

« Nous n'en sommes pas », pourrait devenir la devise des habitants (Mais qu'habitent-ils ? Un nom ?) de ce pays en voie d'oubli.

 

 

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