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Le blog de Christophe Lamoure

Europe et démocratie, le révélateur grec (suite)

6 Juillet 2015 , Rédigé par Christophe Lamoure

SOURCE :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/07/03/la-grece-a-raison-de-refuser-les-diktats-de-la-troika-par-joseph-e-stiglitz_4669570_3232.html

 

 

~ Joseph E. Stiglitz (Prix Nobel d'économie) :

« La Grèce a raison de refuser les diktats de la troïka »

LE MONDE | 03.07.2015 à 19h45 • Mis à jour le 05.07.2015 à 20h51

 

La discorde croissante au sein de l’Europe pourrait passer aux yeux d’un observateur étranger pour la fin de la partie entre la Grèce et ses créanciers. Mais, en réalité, les dirigeants européens commencent tout juste à révéler le véritable enjeu du désaccord entourant la dette grecque : il s’agit bien plus d’une question de pouvoir et de démocratie que d’argent et d’économie. Le programme économique que la « troïka » (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international) a imposé à la Grèce il y a cinq ans était une aberration. Il a conduit à une baisse de 25 % du PIB du pays. Je ne connais aucun autre exemple d’une dépression qui aurait été créée de manière aussi délibérée et dont les conséquences auraient été aussi catastrophiques. Le taux de chômage parmi les jeunes Grecs dépasse maintenant 60 %. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la troïka continue de nier toute responsabilité et de défendre ses prévisions et ses modèles, même s’ils ont été contredits par la réalité. Mais il est encore plus surprenant que les dirigeants européens n’aient rien appris de cette crise. La troïka continue à exiger de la Grèce qu’elle parvienne à un budget primaire en excédent (hors paiement des intérêts de la dette) de 3,5 % du PIB en 2018. Partout dans le monde, les économistes condamnent cet objectif, qu’ils considèrent comme punitif, car il ne peut que ralentir encore l’économie. Même si la dette de la Grèce était restructurée au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, le pays resterait en dépression si les électeurs acceptent les propositions de la troïka lors du référendum surprise qui aura lieu dimanche 5 juillet. Accepter l’inacceptable Peu de pays ont réussi à transformer un important déficit primaire en un excédent budgétaire comme l’ont fait les Grecs au cours des cinq dernières années. Et, bien que le prix à payer en matière de souffrance humaine ait été très élevé, les dernières propositions du gouvernement grec constituent un grand pas en avant pour répondre aux exigences de ses créanciers. Seule une très faible partie des énormes sommes d’argent prêtées à la Grèce lui était réellement destinée. Elles ont servi à rembourser les créanciers privés, notamment des banques en Allemagne et en France. La Grèce n’a reçu que des miettes, mais elle a payé le prix fort pour préserver les systèmes bancaires de ces pays. Le FMI et les autres créanciers « officiels » n’ont pas besoin de l’argent qu’ils réclament. Dans une situation classique, ils se contenteraient de l’utiliser pour faire un nouveau prêt à la Grèce. Mais ce n’est pas une question d’argent. Il s’agit en réalité d’utiliser les dates limites pour contraindre la Grèce à se soumettre et à accepter l’inacceptable : non seulement l’austérité, mais d’autres mesures régressives et punitives. Pourquoi l’Europe fait-elle cela ? Pourquoi les dirigeants de l’UE s’opposent-ils à la tenue du référendum et refusent-ils même de reculer de quelques jours la date limite du 30 juin fixée pour le prochain remboursement de la Grèce au FMI ? L’Europe n’est-elle pas avant tout une affaire de démocratie ? En janvier, les citoyens grecs ont élu un gouvernement qui s’est engagé à mettre fin à l’austérité. Si ce gouvernement voulait simplement tenir ses engagements de campagne, il aurait déjà rejeté la proposition des créanciers. Mais il veut donner aux Grecs l’occasion d’intervenir sur cette question cruciale pour l’avenir de leur pays. L’antithèse de la démocratie Ce souci de légitimité est incompatible avec la politique de la zone euro, qui n’a jamais été un projet très démocratique. La plupart des Etats membres n’ont pas cherché l’approbation de leurs citoyens pour remettre la souveraineté monétaire de la zone entre les mains de la BCE. Quand la Suède l’a fait, les Suédois ont dit non. Ils ont compris que le chômage augmenterait si une banque centrale uniquement attentive à l’inflation fixait la politique monétaire du pays. L’économie souffrirait parce que le modèle économique sur lequel repose la zone euro est fondé sur des relations de pouvoir qui désavantagent les travailleurs. Il n’est donc pas surprenant que seize ans après que la zone euro a institutionnalisé ces relations, c’est l’antithèse de la démocratie qui est à l’œuvre. Beaucoup de dirigeants européens veulent la fin du gouvernement de gauche du premier ministre Alexis Tsipras. A leurs yeux, il est inacceptable d’avoir en Grèce un gouvernement qui refuse une politique qui a tant fait pour augmenter les inégalités dans nombre de pays avancés et qui veut limiter le pouvoir de l’argent. Ils pensent qu’ils pourront se débarrasser du gouvernement de Tsipras en l’obligeant à accepter un accord qui contredit ses engagements. Il est difficile de donner un conseil aux Grecs pour le vote. Dire oui ou non aux exigences de la troïka n’est pas chose facile, et tant l’approbation que le rejet sont porteurs d’énormes risques. Le oui entraînera une dépression presque sans fin. Peut-être un pays dépouillé de tout (un pays qui a vendu tous ses actifs et dont la jeunesse prometteuse émigre) obtiendra-t-il l’annulation de sa dette ; peut-être, étant devenue un pays à revenu moyen, la Grèce va-t-elle finalement obtenir l’aide de la Banque mondiale. Cela pourrait se produire au cours de la décennie prochaine, ou de la suivante. Par contre, un non permettrait au moins à la Grèce, avec sa forte tradition démocratique, de prendre son destin en main. Les Grecs en ressortiront sans doute appauvris, mais ils pourront dessiner un avenir plus riche d’espoir que la torture invraisemblable qui leur est imposée aujourd’hui. Pour ma part, je sais comment je voterais…

(Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz)

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