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Le blog de Christophe Lamoure

LE PARLER SELON MONTAIGNE

24 Octobre 2009 , Rédigé par Christophe Lamoure Publié dans #Atelier lecture




JMJ, participant d'un atelier de philosophie me signale cet extrait des Essais, trouvé sur le net (http://zolucider.blogspot.com/2009/10/le-parler-que-jaime.html). Merci à lui de cet envoi. Il se trouve que ce passage appartient au chapitre 26 du livre I, "De l'institution des enfants", que nous étudions. Je le restitue sans coupure et selon l'édition de Pinganaud (Arléa) :


"Le parler que j'aime, c'est un parler simple et naïf [naturel], tel sur le papier qu'à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné comme véhément et brusque :

L'expression sera bonne si elle frappe,
(Epitaphe de Lucain)

plutôt difficile qu'ennuyeux, éloigné d'affectation, déréglé, décousu et hardi ; chaque lopin y fasse corps [se suffise] ; non pédantesque, non fratesque, non plaideresque [ni du professeur, ni du prêcheur, ni de lavocat], mais plutôt soldatesque, comme Suétone appelle celui de Jules César ; et si [d'ailleurs] ne sens pas bien pourquoi il l'en appelle.
J'ai volontiers imité cette débauche qui se voit, en notre jeunesse, au port de ses vêtements : un manteau en écharpe, la cape sur une épaule, un bas mal tendu, qui représente une fierté dédaigneuse de ces parements étrangers, et nonchalante de l'art. Mais je la trouve encore mieux employée en la forme du parler. Toute affectation, nommément en la gaieté et liberté françaises, est mésavenante au courtisan. Et, en une monarchie, tout gentilhomme doit être dressé à la façon d'un courtisan. Par quoi nous faisons bien de gauchir un peu sur le naïf et méprisant [naturel et sans recherche].
Je n'aime point de tissure où les liaisons et les coutures paraissent, tout ainsi qu'en un beau corps il ne faut pas qu'on y puisse compter les os et les veines. Le discours au service de la vérité se doit d'être simple et sans art (Sénèque, Lettres à Lucilius, XL). Qui parle en s'étudiant sinon celui qui veut parler avec affectation ? (Sénèque, Lettres à Lucilius, LXXV).
L' éloquence fait injure aux choses, qui nous détourne à soi. "

Montaigne, Essais, chapitre 26, livre I (pages 131-132 dans l'édition Arléa).




Ce passage peut faire penser à l'ouverture de L'Apologie de Socrate de Platon.


"[17a] Je ne sais, Athéniens, quelle impression mes accusateurs ont faite sur vous. Pour moi, en les entendant, peu s'en est fallu que je ne me méconnusse moi-même, tant ils ont parlé d'une manière persuasive; et cependant, à parler franchement, ils n'ont pas dit un mot qui soit véritable.

Mais, parmi tous les mensonges qu'ils ont débités, ce qui m'a le plus surpris, c'est lorsqu'ils vous ont recommandé de vous bien

[17b] tenir en garde contre mon éloquence ; car, de n'avoir pas craint la honte du démenti que je vais leur donner tout à l’heure, en faisant voir que je ne suis point du tout éloquent , voilà ce qui m'a paru le comble de l'impudence, à moins qu'ils n'appellent éloquent celui qui dit la vérité. Si c'est là ce qu'ils veulent dire, j'avoue alors que je suis un habile orateur, mais non pas à leur manière; car, encore une fois, ils n'ont pas dit un mot qui soit véritable; et de ma bouche vous entendrez la vérité toute entière, non pas, il est vrai, Athéniens, dans les discours étudiés, comme ceux le mes adversaires, et brillants de

[17c] tous les artifices du langage, mais au contraire dans les termes qui se présenteront à moi les premiers; en effet, j'ai la confiance que je ne dirai rien qui ne soit juste. Ainsi que personne n'attende de moi autre chose. Vous sentez bien qu'il ne me siérait guère, à mon âge, de paraître devant vous comme un jeune homme qui s'exerce à bien parler. C'est pourquoi la seule grâce que je vous demande, c'est que, si vous m'entendez employer pour ma défense le même langage dont j'ai coutume de me servir dans la place publique, aux comptoirs des banquiers, où vous m'avez souvent entendu, ou partout ailleurs, vous n'en soyez pas surpris, et ne vous emportiez pas contre moi; car c'est aujourd'hui la première fois de ma vie que je parais devant un tribunal,

[17d] à l'âge de plus de soixante-dix ans; véritablement donc je suis étranger au langage qu'on parle ici. Eh bien! de même que, si j'étais réellement un étranger, vous me laisseriez parler dans

[18a] la langue et à la manière de mon pays, je vous conjure, et, je ne crois pas vous faire une demande injuste, de me laisser maître de la forme de mon discours, bonne ou mauvaise et de considérer seulement; mais avec attention, si ce que je dis est juste ou non : c'est en cela que consiste toute la vertu du juge ; celle de l'orateur est de dire la vérité."

Platon, Apologie de Socrate.

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Commenter cet article
J
<br /> <br /> il me semble intéressant de se reporter à ce texte sur l'éducation selon Montaigne<br /> <br /> <br /> http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Michel_de_Montaigne--Leducation_selon_Montaigne_par_Gabriel_Compayre<br /> <br /> <br /> d'autant plus, qu'on y sent les impressions, les idées de Montaigne avec de très nombreuses citations qui colorent l'esprit du temps.<br /> <br /> <br /> <br />
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